par Jean Jacquemet de Miauthe
Cette série d'articles parus dans le “Lien Comtois”(ISSN 1292-3567) de 2000 à 2002 a pour but de faire la lumière sur la naissance mystérieuse du 33ème évêque de Luçon. Partant d'une information erronée(Collinet, de Vaudoré, Du Tressay), ils parviennent, au terme d'une longue enquête historico-généalogique, à faire apparaitre une bien banale réalité.
Une enquête généalogique conduite en Franche-Comté aux origines de mon patronyme, avant migration en Dauphiné, et de là en Berry, m’a révélé l’existence d’un Claude Antoine François Jacquemet né au diocèse de Besançon en 1707 et que le Chroniqueur mentionne : Evêque de Luçon.
Une parenté hautement probable, eu égard à un patronyme peu fréquent sinon une homonymie certaine, m’ont incité à en connaître davantage. J’ai ainsi appris que l’abbé Jacquemet Docteur de Sorbonne en 1732 sous le nom de Gaultier (le second mari de sa mère), d’abord Vicaire général à Bourges, est nommé par le roi Louis XV au siège épiscopal de Luçon en 1758. Le nouvel Evêque remet de l’ordre dans un diocèse qui en a bien besoin et décède en 1775, en grande renommée de piété. Ce qui concerne l’essentiel du ministère à Luçon de Monseigneur Jacquemet – Gaultier d’Ancyse (nom sous lequel l’Histoire le retient désormais) peut être appréhendé dans des ouvrages généraux consacrant quelques lignes, voire quelques pages à chaque Evêque français du XVIIIe siècle.
Par contre la littérature ne dit mot de la naissance en la Comté, du 33e Evêque de Luçon, de ses activités en Berry, de son sacre en Ile-de-France, du nom d’Ancyse tardivement adjoint.
Nourri de documents d’Archives, puisse ce modeste ouvrage combler les susdites lacunes, préciser certains points obscurs et honorer la mémoire d’un grand serviteur de la Sainte Eglise Catholique.
Avec l’Almanach Royal, l’on s’accorde généralement à situer en l’archidiocèse de Besançon, en 1707, la naissance de Mgr Jacquemet Gaultier d’Ancyse, 33ème évêque de Luçon, encore que certains auteurs affichent une opinion bien différente. On ne sait presque rien de ses père et mère si ce n’est que celle-ci, veuve, s’est très rapidement remariée avec un nommé Gaultier que d’aucuns assurent procureur général de la Sénéchaussée d’Issoudun.
Bref, j’ai dû reprendre l’affaire au départ avec pour indice fondamental un codicille, écrit d’une tierce main sur une copie d’époque du testament de cet évêque et relatif à sont filleul : celui-ci Charles Louis Crestin d’Oussières a pour grand-mère maternelle une Lambert fille d’Antoine vicomte mayeur d’Arbois ; les Jacquemet et les Lambert sont deux familles alliées… L’enquête suit donc son cours, aidée de quelques aimables et savants compars francs-comtois. Mais pour l’heure, la présente publication des épisodes de la vie de mon Evêque ne respectera pas toujours l’ordre chronologique des évènements, en raison des points litigieux qui demeurent : je prie le lecteur de bien vouloir m’en excuser.
Revenons maintenant au XVIIIe siècle et disons immédiatement que Mgr Jacquemet exerce son ministère à une époque ‘charnière’ et tourmentée de notre Histoire : s’apaisent enfin les chicanes théologiques et remous jansénistes (souvenez-vous de Port-Royal) alors qu’apparaissent les prémices du drame révolutionnaire. Ainsi, le prédécesseur au siège de Luçon du 33ème évêque sera vertement blâmé en Cour de Rome pour déviationnisme notoire, tandis que le successeur dudit 33ème évêque, député du Clergé poitevin aux Etats-Généraux de mai 1789, membre du Comité d’Etude de la Constitution Civile du Clergé en 1792, choisira finalement l’exil en Suisse, sauvant ainsi sa tête, très vraisemblablement, et ne reparaîtra plus dans son diocèse de Luçon.
Mais, qu’est exactement ce diocèse ? Il est simplement né en 1317 de la volonté décentralisatrice du Pape français Jean XXII et créé autour de l’Abbaye de Luçon, en amputant du Bas-Poitou le grandissime diocèse de Poitiers. L’église de l’Abbaye devient Cathédrale et les bâtiments de l’évêché empruntent au monastère quelques salles… En 1791 ce diocèse, grâce à des ajouts provenant de celui de La Rochelle recouvre notre actuel département de la Vendée ; l’Evêque (suffragant de l’Archevêque de Bordeaux) réside toujours à Luçon et non pas au chef-lieu de département (La Roche sur Yon).
Pour information, nous donnons ci-après la liste officielle des évêques (à ce jour), en charge dudit diocèse (certains auteurs n’adoptent pas tout à fait cette énumération).
Noms | Dates de l'épiscopat | ||
---|---|---|---|
1 | Pierre de La Voyrie, dernier abbé de Luçon | 1317‑1333 | |
2 | Regnaud de Thouars | 1333‑1354 | |
3 | Jean Jouffroy | 1354 | |
4 | Guy de Faye | 13‑54‑1351 | |
5 | Guillaume de La Rochefoucauld | 1359‑1387 | |
6 | Etienne Loypeau | 1388‑1407 | |
7 | Martin Gouge de Charpaignes | 1407 | |
8 | Germain Paillard | 1408‑1418 | |
9 | Elie Martineau | 1418‑1424 | |
10 | Guillaume Goyon | 1424‑1431 | |
11 | Jean Fleury | 1431‑1441 | |
12 | Nicolas Coeur | 1442‑1451 | |
13 | André de La Roche | 1451‑1461 | |
14 | Nicolas Boutaud | 1461‑1490 | |
15 | Pierre de Sacierges | 1491‑1514 | |
16 | Ladislas Du Fau | 1514‑1523 | |
17 | Jean de Lorraine, cardinal | 1523‑1524 | |
18 | Louis de Bourbon-Vendôme, cardinal | 1524‑1527 | |
Guillaume de La Forest, auxiliaire | 1526 | ||
19 | Miles d'illiers | 1527‑1552 | |
Jean Le Blanc, auxiliaire | 1536 | ||
20 | René de Daillon Du Lude | 1552‑1562 | |
21 | Jean‑Baptiste Tiercelin | 1562‑1578 | |
Noël Poncelet auxiliaire | 1571 | ||
22 | René de Salla | 1578‑1584 | |
23 | Jacques Duplessis de Richelieu | 1584‑1592 | |
24 | François Hyvert | 1593‑1606 | |
25 | Armand‑Jean Duplessis de Richelieu, cardinal | 1606‑1623 | |
26 | Emery de Bragelogne | 1623‑1635 | |
27 | Pierre Nivelle | 1636‑1661 | |
28 | Nicolas Colbert | 1661‑1671 | |
29 | Henry de Barrillon | 1671‑1699 | |
30 | Jean‑François de Valderies de Lescure | 1699‑1723 | |
31 | Michel‑Celse‑Roger de Rabutin de Bussy | 1723‑1736 | |
32 | Samuel‑Guillaume de Verthamon de Chavagnac | 1737‑1758 | |
33 | Claude‑Antoine‑Fr. Jacquemet‑Gaultier d'Ancyse | 1759‑1775 | |
34 | Marie‑Charles‑Isidore de Mercy | 1776‑1801 | |
35 | René‑François Soyer | 1817‑1845 | |
36 | Jacques‑Marie‑Joseph Baillès | 1845‑1856 | |
37 | François‑Augustin Delamare | 1856‑1861 | |
38 | Charles‑Théodore Colet | 1861‑1874 | |
39 | Jules‑François Lecoq | 1875‑1877 | |
40 | Clovis‑Nicolas‑Joseph Catteau | 1877‑1915 | |
41 | Gustave-Lazare Garnier | 1916‑1940 | |
Charles Massé, auxiliaire | 1938‑1969 | ||
42 | Antoine‑Marie Cazaux | 1941‑1967 | |
43 | Charles Paty | 1967‑1991 | |
44 | François Garnier | 1991 |
Au passage, il n’est pas sans intérêt de remarquer parmi ces prélats :
12. Nicolas Cœur, frère de Jacques Cœur, homme d’affaires à Bourges
25. Armand-Jean Duplessis, Cardinal de Richelieu, ministre du roi Louis XIII
28. Nicolas Colbert, frère de J-B Colbert, ministre du roi Louis XIV
29. Henri de Barrillon, un des auteurs du célèbre catéchisme dit des « Trois Henri »
31. Michel-Celse-Roger de Rabutin de Bussy, fils du fameux Bussy-Rabutin, Général d’armée, Homme de lettres et cousin de Madame de Sévigné.
37. François-Augustin Delamare « démissionné » par le pouvoir en place pour « activités subversives »
Par les soins d’Armand-Jean Duplessis, cardinal de Richelieu, jadis reconstruite, une aile du palais épiscopal de Luçon est la proie des flammes, en cette nuit du 9 janvier 1753. Né de plusieurs foyers, c’est évidemment d’un incendie criminel qu’il s’agit ; il faut bien avouer que le maître de céans, Monseigneur Samuel-Guillaume de Verthamon, janséniste dûment avéré, ne compte pas que des amis et tout spécialement au sein de la Compagnie de Jésus ! Cependant, l’évêque délogé s’installe, faute de mieux, au séminaire de Luçon, chez les Jésuites précisément, et y décède le 1er novembre 1758. Par la suite, ses héritiers, son frère l’évêque de Montauban, sa sœur la comtesse de Lescours, à leurs frais, ainsi qu’obligation leur en est faite (l’enquête n’a pu établir l’auteur de cette malveillance incendiaire) réparent les dégâts ; ils apportent de plus, dit-on, nouveautés et améliorations dans les agencements internes et – louable geste de piété familiale – à la mémoire de leur frère, sur un mur du cloître de l’évêché, font apposer une stèle épitaphe ; elle y est encore, hélas aujourd’hui quelque peu dégradée.
L’intérim étant assuré par un vicaire capitulaire, il faut maintenant pourvoir au remplacement du défunt évêque ; profitons en pour rappeler qu’à cette époque la fonction épiscopale est généralement concédée aux puinés des grandes familles de la Noblesse. S’il est vrai que parmi les susdits, d’authentiques pasteurs dévoués corps et âmes à leurs diocésains ont parfois vécu au milieu d’eux, le plus souvent l’évêque « délègue » à ses vicaires et, grand seigneur résidant à la cour du monarque, il participe aux luttes d’influence avec, bien sûr, tous les risques inhérents à ce type d’activités.
Donc, les postulants au siège de Luçon ne manquent pas en ce mois de novembre 1758 ; et la ‘petite histoire’ raconte qu’un Abbé de cour (ecclésiastique mondain, pour mémoire) aux armoiries des plus renommées, mais bien léger en sciences religieuses, ayant vu sa candidature refusée, aurait, beau joueur, proposé au ministre Choiseul celle d’un vicaire général de l’archevêque de Bourges, l’abbé Jacquemet Gaultier. Effectivement, ce prêtre, docteur en Théologie, prieur de Sorbonne, chanoine bénéficiaire de la collégiale de Levroux est réputé de très saine doctrine et peut, en conséquence, faire valablement oublier l’intermède janséniste. Par contre, en l’état actuel de mes investigations, je ne peux assurer qu’à sa naissance, l’abbé Jacquemet appartient au second des trois Ordres nationaux.
Mais quittons un instant Berry et Poitou. Qu’en est-il de la France en cette fin 1758 ? Notre pays est en guerre, engagé dans un conflit de Sept-Ans dont les conséquences au traité de Paris, en février 1763, demeurent dans toutes les mémoires ! Pour l’heure, si les frontières du pré carré ne sont pas menacées (elles ne le seront jamais) si, comme c’est alors l’usage, seuls les professionnels des deux camps en décousent, pour nous, les défaites s’accumulent tant dans les plaines germaniques avec Clermont à Krefeld qu’avec Montcalm, là-bas, au Canada…
En politique intérieure, le roi a échappé à un attentat l’année précédente ; malgré grèves, émeutes, frondes des parlementaires, la France est prospère, prête au décollage industriel et scientifique qui point, le réseau routier se développe considérablement ; Diderot œuvre à l’Encyclopédie, D’Alembert élabore ses théories mathématiques, Voltaire et Rousseau sont des auteurs à la mode ; le cardinal de Bernis, lassé d’attendre une promotion de premier ministre, démissionne en octobre 1758, sitôt remplacé par Etienne François de Choiseul.
C’est donc dans ce contexte, trop sommairement dépeint, que Louis le Quinzième, dit le Bien-Aimé, Chef temporel de l’Eglise de France, en son Conseil, le 3 décembre 1758, signe l’acte nommant l’abbé Jacquemet Gaultier au siège épiscopal de Luçon…
Pour exercer valablement son ministère, l’évêque nommé doit être préconisé et enfin sacré : ce sont là respectivement formalité canonique ultramontaine et cérémonie liturgique, que je présenterai ultérieurement.
Jusques à la veille de la Révolution, les rois de France nomment les évêques à la tête des diocèses ; sans entrer dans les détails, disons seulement que cette prérogative régalienne date de la Pragmatique Sanction de Bourges (1438), elle-même fondée sur un hypothétique document du Roi Saint-Louis, et du Concordat de Bologne (1516) signé entre le pape Léon X et François 1er, codifiant en Ordonnances Gallicanes les rapports entre la Papauté et l’Eglise de France. Le roi Très-Chrétien détient l’autorité temporelle sur le clergé, nommant évêques et abbés ; le Vatican ratifie le choix royal, si celui-ci ne contrevient pas au Droit Canon réglant la discipline ecclésiastique. Rarissimes sont les cas où le Saint-Siège n’a pas accepté l’élu du roi.
Donc, le 3 décembre 1758, le roi louis XV, au siège vacant de Luçon, nomme l’abbé Jacquemet Gaultier, vicaire général de Georges-Louis Phélipeaux d’Herbault, archevêque de Bourges. Aussitôt, le Grand Aumônier de France, administrateur de la Feuille des Bénéfices, Mgr Louis de Jarente, évêque d’Orléans, en termes des plus élogieux, de cette nomination prévient le chapitre cathédral de Luçon.
Datée du 20 décembre 1758, adressée depuis Paris, nous a été conservée la lettre de l’abbé Jacquemet Gaultier répondant aux félicitations à lui adressées par les chanoines de son futur chapitre :
« … et il me tarde d’être à portée de vivre avec vous dans l’union la plus cordiale. C’est même dans cette union, Messieurs, que je compte trouver le secours dont j’ai besoin, dans une place aussi au dessus de mes forces et de mes espérances… »
Eu égard à la lenteur des courriers et voyages au XVIIIe siècle, il est très probable que l’abbé Jacquemet Gaultier est resté à Paris, en retraite, au siège de sa Congrégation, la mission de Saint-Laurent d’Oulx, en attendant l’accord du Saint-Siège. De plus, l’intérim est assuré à Luçon…
Cependant, Rome ignore bien de points de la vie de l’abbé, ainsi que me le confirme récemment Mgr Giuseppe Maria Croce, prélat des Archives Vaticanes :
La réponse d’installation arrive enfin, sous forme d’un « bref » du pape Clément XIII, daté du 4 avril 1759 ; ce bref s’éloigne visiblement de la formulation en usage, car il ne fait aucune mention bienveillante du prédécesseur trépassé, tenu par Rome pour schismatique… Conformément aux règles en vigueur de l’église catholique, l’évêque préconisé doit être sacré dans un délai de trois mois (le plus souvent un dimanche ou le jour de la fête d’un Apôtre) : il s’agit là d’une onction spéciale conférée par un évêque, le consécrateur aidé de deux co-consécrateurs ou assistants liturgiques (évêques ou simples prêtres) dans un cérémonial bien défini, mais en principe sans pompe ni apparat…
Quant au lieu du sacre de l’abbé Jacquemet, le 29 avril 1759, à savoir l’église Saint-Martin de Jouars, au diocèse de Chartres, je me suis longuement interrogé sur les motifs de ce choix : en fait, il s’agit de l’église paroissiale de la terre de Pontchartrain, érigée en comté par Louis XIV en 1680 en faveur de Louis Phélipeaux, d’antique noblesse de robe, et aïeul de Georges-Louis cité plus haut ; celui-ci, que l’on peut éventuellement considérer comme l’un des trois prêtres ayant conféré le sacre épiscopal à l’abbé Jacquemet a probablement suggéré d’officier dans une église desservant le fief familial. De plus, Jouars se trouve à quatre lieues seulement de Versailles.
La lecture attentive du testament de Mgr Jacquemet Gaultier d’Ancyse nous révèle sans ambiguïté que le cardinal de Choiseul est son consécrateur :
« Je prie mon successeur en l’évêché de Luçon de bien vouloir accepter… …et aussy le portrait de feu M. de Barillon évêque de Luçon qui m’a été donné par Madame la première présidente Molé petite nièce de cet illustre prélat ainsy que le portrait de monsieur le cardinal de Choiseul son petit neveu et mon consécrateur »
Renseignements pris, il s’agit de Antoine-Cléradius de Choiseul-Beaupré (1707-1774), archevêque de Besançon en 1754 et créé cardinal en 1761… Notons que les différents épiscopologes récents ne donnent pas les consécrateurs de l’abbé Jacquemet Gaultier, contrairement aux usages de ces recueils.
Concernant la cérémonie du sacre en cette église de Jouars, un manuscrit conservé au séminaire de Saint-Sulpice, nous en donne une brève description, dans le style simple et quelque peu naïf d’un vicaire de campagne, l’abbé Daudrieu. Je remercie ici le Père-Archiviste dudit séminaire de m’avoir aidé dans le transcription que je présente ci-après :
Archives du Séminaire de St Sulpice (Paris 6e)
« Cérémonies extraordinaires page 323 »
Sacre de monsieur l’Abbé Gauthier nommé à l’évêché de Luçon, dans l’église paroissiale de Jouars, paroisse du château de Pontchartrain le 29 avril 1759. Cette cérémonie fut faite dans l’église de Jouars. Le maître de cérémonie s’y transporta le vendredi, le samedi il exerça les curés et vicaires des environs qui s’étaient rendus chez le curé.
Il fit présenter les offrandes par des enfants de chœur. Le curé avait partagé les cérémonies entre tous les ecclésiastiques qui s’y trouvèrent.
Les prélats en arrivant à l’église furent reçus à la porte par le curé en étole qui leur présenta l’eau bénite, leur fit baiser la Croix et les encensa ; il garda l’étole pendant toute la cérémonie ne s’étant attaché à aucune cérémonie particulière.
Cette cérémonie fut exécutée avec beaucoup d’ordre et chacun y a paru content.
Le lendemain 30 avril 1759 « Le roi entendant le messe dans le chapelle de son château de Versailles » Révérend Père en Dieu, Messire Claude Antoine François Jacquemet Gaultier prête serment de fidélité au monarque (voir Lien Comtois N° 15). Enfin, un manuscrit conservé aux Archives Nationales nous apprend que le 5 mai 1759 : « Jule Nicolas Duvaucel, Ecuyer-Conseiller du Roi, Trésorier général de ses offrandes, aumônes, dévotions, quitte le Seigneur de Luçon de la somme de 33 livres par luy du à cause du serment de fidélité » et que sur ordre de Sa Majesté, il emploiera « pour aider à marier de pauvres Filles ».
Nota : Encore qu’une équivalence soit délicate à établir, je pense que 33 livres (tournois) de 1759 représenteraient 9000 F de 2001.
Un document du XVIIIe siècle portant le cachet de la Généralité de Paris, obtenu à la dernière minute auprès des A. D. Yvelines, me permettra ultérieurement de présenter avec exactitude et précision les acteurs et les témoins du sacre de Mgr Jacquemet Gaultier d’Ancyse.
RESUME : Né en l'an de grâce 1706, au diocèse de Besançon, l'abbé Claude-Antoine-François Jacquemet Gaultier, vicaire général de l'archevêque de Bourges, est nommé au siège épiscopal de Luçon, le 3 décembre 1758. Il occupe jusqu'en octobre 1775, une fonction délicate à gérer ; en effet, il intervient entre un prédécesseur quasi schismatique et un successeur que la tourmente révolutionnaire bientôt contraint à l'exil… Et lui-même, après un sommeil de vingt années dans le caveau des Evêques, sis sous le chœur de la Cathédrale, voit sa sépulture profanée en l'An II, de la République française, une et indivisible, et sera réinhumé en 1845.
Dans ses “Documents1 pour l'histoire de l'évêché de Luçon”, l'abbé Delhommeau, archiviste diocésain de la Vendée, cite une pièce manuscrite conservée au séminaire Saint-Sulpice, à Paris 6ème, relatant la cérémonie du sacre épiscopal, le 29 avril 1759 en l'Eglise de Jouars, de l'abbé Gauthier2, nommé au siège de Luçon par le roi Louis XV ; ledit document paru dans le Lien Comtois n°18, m'a semblé sommaire et incomplet, m'incitant ainsi à entreprendre de nouvelles investigations.
Heureusement, j'ai eu le privilège de découvrir aux A.D. des Yvelines, département auquel appartient désormais la commune de Jouars, autrefois au diocèse de Chartres, et ce à la date admise, une très longue description de cette cérémonie3, où l'évêque de Luçon apparaît sous l'identité de Jacquemet Gaultier…. Ainsi que je l'avais précédemment déduit du testament de cet évêque, son consécrateur est bien l'archevêque de Besançon4, peut-être en raison d'affinités comtoises, assisté de Nosseigneurs de Limoges et de Troyes, ce que j'ignorais.
Mais prenons plutôt connaissance de ce que relate, dans l'orthographe, d'époque l'abbé COLLET, curé de Jouars :
Ce dimanche vingt neuf avril mil sept cent
Cinquante neuf, illustrissime et révérendissime
Seigneur, monseigneur Claude Antoine
François Jacquemet Gaultier Evêque de
Luçon a été sacré dans cette église de St
Martin de Jouars Pontchartrain suivant
Le rite et cérémonial du Pontifical
Romain par illustrissime et révérendissime
Seigneur, monseigneur Antoine Cleradieus de
Choiseul Beaupré, archevesque de
Bezançon prince du St Empire Romain
Primat de l'insigne Eglise primatiale de
Loraine Grand Aumônier de Sa majesté
Le Roy de Pologne Duc de Lorainne et
De Bar authorisé à cet effet par illustrissime
Et révérendissime seigneur, monseigneur Pierre Augustin Bernardin
du Rosset de Fleury Evesque de Chartres
Premier aumônier de la Reine en datte
Du 22 avril de la présente année, et assisté par
Illustrissime et révérendissime seigneur,
Monseigneur Jean Gilles du
Coëtlosquet Evesque de Limoges,
Précepteur de Mgr le duc de Bourgogne
Et d'illustrissime et révérendissime seigneur,
Monseigneur Jean-Baptiste-Marie Champion
de Cicé Evesque de Troies ; en présence de
Très haut et très puissant seigneur, monseigneur
Jean Frédéric Phelipeaux Comte de Maurepas
Et de Pontchartrain baron de Beiyne et
Autres lieux, ministre d'Etat et commandeur
Des ordres du Roy; très haute et très puissante
Dame, Madame Marie Jeanne Phelypeaux
de la Vrillière, épouse de mondit Seigneur, seigneur
Et dame de cette paroisse; de Mr de Verthamon
Abbé de Neauphle le vieux archidiacre de
Luçon, de Mr Nicolas Bonaventure Thiery
Chancelier de l'Eglise et Université de Paris
Et chanoine de ladite Eglise, Abbé de Chezy,
de Mr Ganeau Docteur en Théologie de la
Faculté de Paris, Chantre et Chanoine et
Vicaire général de l'église de Luçon et de
Très haut et très puissant seigneur, monseigneur le duc d'Estissac
Père de France, chevalier des ordres du Roy et grand maître
De sa garde robe, de monseigneur Jean Louis Portail
Président honoraire du parlement
Et de Mrs les Curés et ecclésiastiques du comté de
Pontchartrain, savoir de Mr François
Barré curé de Coignières, de Mr François
François Le Griffon, curé de Maurepas, de
Mr Chardin de la Chardinière, curé
d'Elancourt de Mr Etienne Bidault, curé de
Bazoches, de Mr Laine, curé de Neauphle
Le Château, de Mr Le Curé de Vicq, de Mr
Pierre Paroy desservant la paroisse de Neauphle
Le Vieux, de Mr Galais vicaire de Neauphle
Le Vieux, de Mr Jean Laurier, curé de
Flexanville, de Mr Dandrieu vicaire de
Cette paroisse de Mr Larché Chapelain
De Mgr Le Comte de Maurepas, de Mr
Hachette Chapelain de l'hôpital des Bordes
Et d'un très grand concour de peuple, les
quels avec mesdits seigneurs ont signé le
présent acte ad perpetuam rei mémoriam
+ ant cler arch de Besançon
+ j. b. ev. De Troyes
+ cl. ant. fr évêque de Luçon
La Vrillière Maurepas Portail
de Maurepas Verthamon
Collet, curé de Jouars
Cette superbe page d'Histoire, où sont cités plus de vingt personnages, appellerait de nombreux commentaires et développements. Volontiers, je me limite à quelques remarques :
Notes:
RESUME
S'il est avéré que l'Almanach Royal, le “who's who” du XVIIIème siècle, mentionne que l'Evêque de Luçon, Mgr Claude Antoine François Jacquemet Gaultier, est né au diocèse de Besançon, en revanche les ouvrages consacrés à l'Evêché de Luçon donnent audit Jacquemet Gaultier le Berry pour lieu d'une naissance, de plus décrite éminemment controversée et douteuse ! Le présent article fait litière de ces dernières affabulations, qui m'abusèrent un temps, et rétablit l'exactitude des faits.
PERE ET MERE
Gravé en lettres d'or dans le marbre d'une plaque commémorative, sur un mur de la cathédrale de Luçon anciennement scellée entre la quatrième et la cinquième station du Chemin de Croix, on peut lire le texte latin1:
Claudius Antonius Franciscus JACQUEMET GAUTHIER d'ANCYSE Lucionensis Episcopus (1758 – 1775) Natus anno 1706 Obiit die 27 octobris 1775 |
Puis, en traversant le cloître, l'on arrive au service d'accueil de ce palais épiscopal qui abrita Armand-Jean Duplessis, cardinal de Richelieu, et là, le visiteur peut consulter la liste des évêques de Luçon, des origines à nos jours ; j'en extrais ce qui concerne le 33e évêque :
“Claude-Antoine-Fr Jacquemet – Gaultier d'Ancyse 1759 – 1775”
A première vue, la différence entre Gauthier et Gaultier, raisonnablement, n'apparaît pas très significative ; en effet chacun sait bien, pour l'avoir maintes fois remarqué, qu'un même nom peut souffrir différentes écritures au long des lignes d'un même acte. Il n'empêche qu'après plusieurs mois de recherche auprès des A.D. du Jura et de la Côte d'Or, preuves à l'appui, je crois pouvoir affirmer que :
Quant à “d'Ancyse”, il s'agit d'un troisième nom que le prélat semble s'être auto-attribué dans les années 1767 ; pour l'heure, les motifs et signification de ce choix me sont inconnus.
DILEMME
Voyons donc maintenant ce que l'on peut lire dans les diverses sources imprimées concernant cet évêque; plusieurs documents sont consultés :
Pour clore cette liste, rappelons que les Archives Vaticanes, par mes soins consultées, (voir Lien Comtois n°18) ignorent l'état-civil de cet évêque “gallican”..
Au vu de tout ce qui précède, une naissance du 33e évêque de Luçon en Franche-Comté ne paraît pas évidente a priori ; et pourtant, j'élimine d'office une recherche en territoire berrichon, aux motifs que les armoriaux8 du cru ignorent “Gaultier d'Ancyse” et que “Jacquemet” est connu en Franche-Comté de temps immémorial9.
LES PREUVES
Il restait donc à prospecter l'archidiocèse de Besançon, en Franche-Comté, c'est-à-dire à peu près l'équivalent des trois départements d'aujourd'hui, Doubs, Jura, Haute-Saône, sans compter Belfort, soit plus de mille paroisses ; un indice était nécessaire pour aborder les recherches auprès des diverses Archives Départementales.
Par chance, Monsieur l'Abbé H. Baudry, l'actuel archiviste diocésain, qui m'avait, en son temps, fourni le testament de l'évêque de Luçon, me fait remarquer l'existence d'une mention rapportée10 sur ledit testament ; après déchiffrement, ainsi apparaît-elle :
Testament de Mr Jacquemet Gauttier d'Ancy - Evêque de Luçon - parain de Mr Charles Louis J-B. Crestin11 d'Oussières, conseiller au Grand Conseil.
La grand-mère maternelle de M. Charles Louis J-B Crestin d'Oussières était une Lambert fille d'Antoine Lambert vicomte mayeur de la ville d'Arbois. Les Lambert et les Jacquemet étaient deux familles alliées.
Les “Annales historiques et chronologiques de la ville d'Arbois” écrites par E. Bousson de Mairet, bientôt consultées, me confirment que les Lambert et Jacquemet sont respectivement mayeurs et échevins en Arbois depuis l'an 1600 au moins; l'étude aux A.D. du Jura des registres paroissiaux de cette communauté livre enfin l'acte de naissance et de baptême, rédigé en latin médiéval, du futur évêque et ce en date du 19 avril 1706 ; j'en donne la traduction:
Claude Antoine François fils du Seigneur Etienne François Jacquemet et de noble Dame Claudia Gaultier, mariés, est né le 19 avril, baptisé le 24 dont les parrain et marraine ont été les Seigneurs Antoine Jacquemet et Louise Anne Françoise Touverey.
A.Cocagne, prêtre Jacquemet
Touverey
Poursuivant les recherches sur Arbois apparaissent deux documents, traitant du décès en date du 24 octobre 1737 du père de l'évêque, l'un au répertoire alphabétique (microfilm 1 MI 462) et l'autre au registre paroissial (microfilm 1 MI 454). Je transcris :
Jacquemet Etienne – François époux de Claudine Gauthier, 24 octobre 1737
et
L'an mil sept cent trente sept le vingt cinq octobre le Sieur Estienne Jacquemet a été inhumé dans cette église étant mort le jour précédent âgé d’environ soixante années en présence du Sieur Mathieu Vauchey chanoine honoraire de l'église collégiale de cette ville, du Sieur Claude François Champereux conseiller président au bailliage d'Arbois, du clergé de cette église et plusieurs autres. G. Lambertoz, vicaire
Remarquons que quatorze années plus tard une mention marginale est portée sur l'acte précédent; elle est :
Le Sieur Jaquemet s'appelle Estienne François ce qui m'a été certifié par les parents et par l'acte baptismal des enfans entre autres du 19 avril 1706 ; fait à Arbois ce 23e juin 1751 Brabier, curé d'Arbois
Quittant la Franche-Comté, je trouve sur un site Internet12 s'intéressant à l'Histoire, tirée des registres de la paroisse de St Philbert de Noirmoutier et ce pour l'année 1760, l'annonce suivante : Le mardi cinq (février) il a été célébré dans cette église de la manière la plus solennelle qu'il a été possible un service pour le repos de l'âme de feüe Madame Jacquemet Gaultier, mère de monseigneur l'évêque de Luçon. Guyard, curé
Prenant en compte les délais de communication au 18ème siècle ainsi que certaines précisions contenues dans le testament de l'évêque, il me fut aisé d'obtenir des A.D. de l'Indre, l'acte de décès de sa mère à Levroux, paroisse de St Sylvain, diocèse de Bourges à l'époque.
Le 10 janvier 1760 a été inhumée Dame Claude Gaultier décédée hier âgée de 77 ans en son vivant veuve Etienne François Jacquemet Gaultier. En présence des témoins soussignés de : Pierre Jacquemet Gaultier vicaire général et doyen du chapitre de Saint-Sylvain de Levroux, François d'Herer de Pauday avocat au Parlement.
A présent, et considérant les seules pièces d'état-civil, je pense qu'il n'y a plus aucun doute quant à la légitime naissance du 33e évêque de Luçon.
On peut constater, cependant, que la mère de l'évêque n'est pas présente aux obsèques de son époux en 1737 ; il est probable, pour des raisons que j'ignore, qu'elle a choisi de vivre auprès de ses fils, pourvus de confortables bénéfices, à Bourges et autres lieux, en Berry; ensuite, il n'en faut pas plus pour induire en erreur quelques futurs chroniqueurs aux imaginations fertiles et ceci d'autant que l'évêque ajoute le nom de sa mère au nom paternel ou se fait simplement appeler Gaultier.
Et pourtant, Etudiant au réputé collège de Plessis-Sorbonne, à 16 ans, le 2 août 1722, il défend sa thèse13 de Philosophie sous sa réelle identité à savoir “Claude Antoine François Jacquemet”, chapelain14 de l'insigne Eglise Parisienne.
Notes et Commentaires